Haïti : à qui profite le crime ?

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Certaines tragédies choquent par leur brutalité, d’autres révoltent par leur constance. Haïti, premier pays noir indépendant, terre de la révolution la plus radicale de l’histoire moderne, s’enfonce depuis des décennies dans une spirale de violence, de misère et de délabrement institutionnel.

Mais si la question « que se passe-t-il en Haïti ? » est régulièrement posée, une autre, bien plus dérangeante, reste trop souvent éludée : à qui profite le crime ?

Car non, cette descente aux enfers n’est pas le fruit d’une malédiction, ni d’un prétendu échec intrinsèque du peuple haïtien à se gouverner. C’est un système. Une mécanique froide et cynique, avec ses bénéficiaires.

La prospérité d’Haïti ? Une menace pour les puissants

Depuis son acte de naissance en 1804, Haïti dérange. La révolution haïtienne, matrice des luttes anticoloniales, fut un coup de tonnerre dans un monde fondé sur l’esclavage. La France, les États-Unis et les autres puissances esclavagistes de l’époque n’ont jamais pardonné à Haïti cette subversion radicale : celle de prouver qu’un peuple noir pouvait briser ses chaînes, prendre les armes et proclamer sa liberté.

Haïti devait être punie. Et elle le fut. Par l’isolement diplomatique, par l’indemnité inique imposée par la France, par l’occupation américaine, par le sabotage économique et les interventions militaires. Plus récemment, ce sont les outils modernes de domination – le FMI, les « missions de paix », les plans d’aide conditionnés – qui ont pris le relais. Haïti forte, autonome, exemplaire ? C’est encore et toujours un cauchemar pour ceux qui imposent leur loi à l’échelle mondiale.

Des élites haïtiennes complices

À l’intérieur du pays, une caste d’élites économiques et politiques a, depuis longtemps, choisi de pactiser avec l’ordre international plutôt que de servir la nation. Familles puissantes, affairistes sans scrupules, politiciens manipulables : tous profitent du chaos. Ils prospèrent grâce à l’effondrement de l’État, aux exonérations fiscales, aux monopoles commerciaux et à la main-d’œuvre corvéable. La misère des masses est pour eux une rente de situation.

Les ONG et les marchands de crise

Haïti est devenu un eldorado pour les ONG et les entreprises internationales. Humanitaires, consultants, fournisseurs d’aide : beaucoup vivent, directement ou indirectement, de l’échec. Plus la situation empire, plus les budgets gonflent, plus les postes s’ouvrent, plus la dépendance se renforce. Le pays devient une zone franche de la charité lucrativeun laboratoire de l’assistance sans fin, sans résultats, sans comptes à rendre.

La République Dominicaine : le voisin qui prospère sur la chute

Loin des projecteurs, un autre acteur tire parti du drame haïtien : la République Dominicaine. Le contraste est saisissant : d’un côté, une économie touristique en plein essor, de l’autre, l’effondrement.

Mais cette prospérité repose aussi sur une exploitation méthodique des travailleurs haïtiens : sous-payés, maltraités, sans papiers, ils constituent une main-d’œuvre essentielle, privée de droits.

Les produits dominicains inondent un marché haïtien non réglementé, pendant que les politiciens dominicains, en quête de boucs émissaires, surfent sur un racisme d’État de plus en plus décomplexé.

Sans le chaos haïtien, la stabilité dominicaine n’aurait pas le même éclat.

Un pays sacrifié, une mémoire à réhabiliter

Haïti n’est pas un cas désespéré. C’est une nation qu’on empêche de se relever. Une république qu’on neutralise. Une mémoire qu’on salit. Ce n’est pas l’absence d’espoir qui domine, c’est l’organisation de l’empêchement.

Ce crime, ce sabotage historique et contemporain, a ses commanditaires, ses bénéficiaires, ses complices. Il est temps de les nommer. Il est temps de rompre avec cette hypocrisie géopolitique où l’on pleure sur Haïti tout en maintenant le genou sur sa gorge.

La question n’est plus : comment aider Haïti ? Mais : comment arrêter de l’étouffer ?

Daniel Alouidor

À suivre