Une diplomatie au service du peuple, du développement et de la souveraineté
Parmi les ruines silencieuses de l’État haïtien, il en est une que l’on évoque rarement : sa diplomatie.
Depuis les lendemains de 1986, celle-ci n’a cessé de perdre en cohérence, en crédibilité et en efficacité. Des nominations politiques sans stratégie, une absence chronique de vision à long terme, des ambassades devenues refuges pour proches du pouvoir : tout semble indiquer que notre appareil diplomatique a été détourné de sa mission. Or, dans un monde multipolaire, interconnecté et hautement concurrentiel, l’absence de diplomatie solide est une condamnation à l’invisibilité.
Il est donc urgent de remettre à plat les fondements de notre politique étrangère. D’en faire un véritable outil de développement, de souveraineté et de rayonnement. À cette fin, une vision nouvelle s’impose, articulée autour de missions claires, de principes rigoureux et d’axes stratégiques cohérents. Voici les bases d’une refondation diplomatique possible.
Une diplomatie au service du peuple, et non des privilèges
La première erreur — et la plus coûteuse — a été d’imaginer la diplomatie comme un instrument de récompense politique. Combien de postes consulaires ont été confiés à des personnes sans formation, sans feuille de route, ni même maîtrise des enjeux internationaux ? Combien d’ambassades sont devenues des coquilles vides, peuplées de « représentants » plus soucieux de visa que de vision ?
Or, la diplomatie haïtienne n’a jamais été aussi indispensable. Elle doit avant tout protéger les intérêts du peuple haïtien, où qu’il se trouve. Cela signifie : sécuriser les droits de nos citoyens à l’étranger, porter les revendications d’Haïti sur les grandes scènes internationales, attirer les partenariats nécessaires à notre redressement. Bref, être la voix externe d’une ambition interne.
Redéfinir les fondements : cinq principes qui changent tout
Une diplomatie efficace ne peut se construire sans éthique ni discipline. C’est pourquoi cinq principes doivent désormais structurer toute action diplomatique haïtienne :
- Professionnalisme : il faut rompre avec l’amateurisme. Être diplomate ne s’improvise pas. Cela exige des compétences, une formation, une rigueur, une posture.
- Neutralité politique : le corps diplomatique ne peut être au service de clans ou de partis. Il doit défendre la nation, et non une écurie électorale.
- Transparence et redevabilité : chaque mission diplomatique doit être justifiée, chaque dépense traçable, chaque ambassade évaluée.
- Intérêt national prioritaire : rien ne doit primer sur l’intérêt du pays et de son peuple. Pas les deals, pas les promesses personnelles, pas les pressions extérieures.
- Respect du droit international : Haïti doit redevenir un acteur crédible, fidèle à ses engagements internationaux, et respectueux des normes qu’elle exige pour elle-même.
Ces principes ne sont pas abstraits : ce sont des garde-fous, des boussoles dans un monde où les États sans colonne vertébrale diplomatique deviennent des États satellites.
Six axes stratégiques pour une diplomatie utile, moderne, cohérente
Un ministère des Affaires étrangères qui ne sait pas où il va est un navire fantôme. La diplomatie haïtienne doit se structurer autour de six axes stratégiques, en phase avec les réalités du XXIe siècle :
1. Diplomatie politique et géostratégique
Il est temps de redonner à Haïti une voix autonome et respectée dans les grandes enceintes : ONU, OEA, CARICOM, CELAC… Nouer des alliances, défendre nos positions sur la scène mondiale, ne plus subir — voilà l’enjeu.
2. Diplomatie économique
Chaque ambassade devrait devenir une cellule d’intelligence économique, en veille permanente sur les opportunités d’investissement, d’exportation, d’échanges technologiques. Pourquoi nos postes diplomatiques sont-ils absents dans les forums d’innovation, d’agriculture ou de finance verte ? Il faut les y envoyer.
3. Diplomatie culturelle et identitaire
La culture haïtienne est l’un de nos rares actifs mondiaux. Langue créole, peinture, littérature, artisanat, gastronomie : voilà des vecteurs de rayonnement. Il faut les utiliser comme armes douces de notre diplomatie.
4. Diplomatie diasporique
Avec plus de 4 millions d’Haïtiens vivant à l’étranger, la diaspora n’est pas un accessoire, mais un partenaire stratégique. Il faut structurer cette relation, créer des canaux d’échange, assurer la défense de leurs droits, leur permettre de participer à la transformation du pays.
5. Diplomatie environnementale et climatique
Pays vulnérable, Haïti doit parler haut et fort dans les négociations climatiques. Rechercher un soutien international pour sa transition énergétique. Mener une diplomatie verte, fondée sur la survie même de son territoire.
6. Diplomatie des droits humains
Enfin, il ne saurait y avoir de diplomatie sans défense active des droits des Haïtiens à l’étranger. Face à la xénophobie, aux discriminations, aux abus, l’État haïtien doit être protecteur, vocal, intraitable.
Ce que coûterait de ne pas agir
Refuser de réformer, c’est choisir la disparition diplomatique. Sans vision, Haïti restera une ombre dans les forums, un pays qu’on aide parfois par pitié, qu’on contourne souvent par méfiance, qu’on ignore toujours par manque d’intérêt.
Sans diplomatie offensive et stratégique, les investissements ne viendront pas, la diaspora se détournera, les abus contre nos citoyens se multiplieront, et l’image du pays continuera de s’enliser.
Un appel à la réforme et à l’engagement citoyen
Cette vision ne doit pas rester lettre morte. Elle est un appel à l’engagement collectif. Chaque citoyen, chaque jeune, chaque professionnel doit comprendre que la diplomatie n’est pas un luxe, mais un pilier d’avenir.
L’heure n’est plus à l’improvisation ni aux privilèges déguisés. La diplomatie haïtienne doit être repensée comme une machine stratégique de projection nationale, au service du développement, de la souveraineté, et de la dignité du peuple haïtien.
Le chantier est immense. Mais la vision est là. Il ne reste plus qu’un acte politique : la volonté de bâtir.
Daniel Alouidor