Entreprendre dans le Nord’Ouest : un potentiel en quête de structuration

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on email

À la croisée des vents marins et des montagnes arides, le département du Nord’Ouest d’Haïti ne se distingue pas par sa densité urbaine ou ses infrastructures modernes. Et pourtant, il abrite un maillage d’activités économiques informelles, vibrantes mais invisibles, menées par des milliers de petits entrepreneurs. Dans un environnement souvent négligé par les politiques nationales, ces femmes et hommes portent sur leurs épaules l’économie réelle d’un territoire oublié.

Grâce aux données issues de l’enquête FinScope MPME Haïti 2023une lumière nouvelle est projetée sur les défis et opportunités du tissu entrepreneurial de ce département. Le rapport, mené sous la direction de la Banque de la République d’Haïti (BRH) et financé par l’USAID, dresse un tableau clair : le Nord’Ouest est dynamique, mais encore trop peu structuré pour jouer un rôle moteur dans le développement économique régional.

Une activité économique largement informelle

Selon l’enquête, 89 % des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) haïtiennes évoluent dans le secteur informel. Dans le Nord’Ouest, cette réalité est accentuée par la faible présence institutionnelle, le manque de guichets d’accompagnement, et la précarité des infrastructures. Les entrepreneurs y opèrent souvent dans les rues, sous des tonnelles, dans des maisons reconverties en échoppes, sans immatriculation légale, sans comptabilité, et souvent sans accès stable à l’électricité ou à l’eau courante.

La plupart de ces initiatives relèvent de la microentreprise : activités de vente de produits alimentaires, artisanat local, services de téléphonie mobile ou agriculture de subsistance. Dans cette zone, l’entrepreneuriat est d’abord un moyen de survieune réponse directe aux besoins élémentaires de la famille. La formalisation apparaît pour beaucoup comme une formalité inutile, voire un obstacle supplémentaire.

Inclusion financière : une fracture visible

Les chiffres révèlent une réalité préoccupante. Dans le Nord’Ouest :

  • 17 % seulement des MPME sont bancarisées (contre 14 % à l’échelle nationale) ;
  • 47% utilisent des services formels non bancaires (associations d’épargne, coopératives, mutuelles) ;
  • 13% s’en remettent uniquement aux mécanismes informels comme les tontines ou les usuriers ;
  • ET 23% des entrepreneurs n’ont accès à aucune forme de service financierformel ou informel.

Cette situation freine le développement du tissu économique. Sans accès au crédit, sans possibilité d’épargner en sécurité, sans assurance, la croissance des entreprises est plafonnée. L’entrepreneur du Nord’Ouest est souvent condamné à la stagnation, à la rotation rapide de petits capitaux, et à la dépendance vis-à-vis de la clientèle locale.

Une jeunesse et des femmes actives mais sous-financées

Une autre dimension essentielle ressort du rapport FinScope : 67 % des MPME sont dirigées par des femmesprincipalement dans le secteur du commerce informel. Le département du Nord’Ouest, connu pour ses flux migratoires et la force de ses femmes commerçantes, incarne bien cette dynamique. Toutefois, ces femmes entrepreneures restent particulièrement affectées par le manque d’accompagnement et la rareté de financements adaptés à leurs réalités.

Par ailleurs, plus d’un tiers des propriétaires de MPME ont moins de 35 ans. Ce potentiel jeune constitue une base formidable pour l’innovation et la transformation économique, à condition de mettre en place des dispositifs de formation, de mentorat et d’incubation adaptés à leurs projets.

Un besoin urgent de structuration territoriale

Le tableau est clair : l’offre entrepreneuriale existemais elle est désorganisée, marginalisée, isolée. Pour que le Nord’Ouest devienne un pôle économique viable, il est urgent de structurer cet écosystème en agissant sur plusieurs leviers :

  • Renforcement des institutions de microfinance locales ;
  • Création de centres d’appui aux MPME (guichets uniques, incubateurs, maisons de l’entrepreneuriat) ;
  • Simplification des procédures de formalisation (via le numérique et des agents mobiles) ;
  • Mise en réseau des entrepreneurs à travers des foires régionales, coopératives et plateformes en ligne ;
  • Formation des entrepreneurs en gestion, marketing digital et finance de base.

Ces mesures permettraient non seulement de valoriser les initiatives existantes, mais aussi d’attirer des investisseurs locaux et de la diaspora dans des projets collectifs à fort impact social.

Du potentiel à la prospérité

Le Nord’Ouest n’est pas en panne d’initiatives. Il est en attente d’un cadre, d’un appui, d’une reconnaissance. Loin des projecteurs de Port-au-Prince, ce département cultive une économie à visage humain, faite de courage quotidien et de créativité. Donner à ses entrepreneurs les moyens de se structurer, c’est réduire les inégalités régionales, créer de l’emploi localet favoriser une croissance économique inclusive.

Il est temps que les politiques de développement cessent de penser Haïti à partir du centre. Le Nord’Ouest attend sa chance. Offrons-lui les outils pour transformer ses efforts en prospérité durable.

Elensky FRAGELUS

À suivre