Review: La quérulence: Quand le droit et la psychiatrie se rencontrent

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Critique de l’essai :

Guillemard Sylvette et Benjamin Levy, la Quérulence quand le droit et la psychiatrie se rencontrent, Québec, Presses de l’Université Laval, 2023, préface de Christian Brunelle, XVI-154 p.


Mise en contexte

Cet essai paru au Québec a le mérite de nous expliquer le phénomène de la quérulence. A l’acharnement judiciaire contre des justiciables correspond la sur-sollicitation des tribunaux par ceux-ci. L’analyse de la quérulence est rarement vu sous l’angle de la détermination, de l’intelligence, de la surdouance; car, faisant fi de la légitimité du justiciable, c’est avant tout son procès qui est fait. Avec le recul, il est pourtant permis de dénombrer un nombre incalculables d’erreurs judiciaires, ou de retournement des plaintes contre le plaignant. Cet ouvrage n’échappe pas au portrait négatif du quérulent. Il en fait un diagnostic étendu. Il est le résultat d’une expertise en droit et en psychiatrie. L’histoire de la quérulence processive s’approprie le sujet sur base de l’interprétation que font les tribunaux judiciaires notamment du phénomène d’engorgement, d’ harcèlement judiciaire sans en expliquer les causes profondes. Il importe de signaler d’entrée de jeu que l’autrice est docteur en droit mais son co-auteur, n’est ni historien, ni psychiatre. Ce dernier est plutôt formé à la psychopathologe et la psychanalyse.

L’introduction semble assez loufoque quand elle évoque l’exemple d’une quérulente qui adresse des dizaines de correspondances au Curateur pour régler une affaire regardant la succession de sa mère. Le livre cite également un individu qui réclame modestement la propriété de quelques planètes du système solaire.

Les quérulents sont des calamités pour les juges mais des cas d’école pour les psychiatres. Après un détour par la doctrine allemande, citant les aliénistes, le auteurs relèvent la divergence de point de vue sur l’institution en crise et la quérulence processive. L’ouvrage cherche d’abord à décrire la genèse des catégories psychiatriques des plaideurs trop zélés et des plaignants déraisonnables.

Panorama international de la querulence

La deuxième partie du livre traite de la manière dont les différents ordres juridiques apportent une réponse aux plaignants pathologiques. Ils décrivent les solutions pour encadrer et limiter leur accès aux tribunaux. Ils donnent également une approche clinique du trajet de vie de ces personnes. La quérulence serait née deux fois: en Allemagne et en France. Si en France, elle est considérée par la psychiatrie, dans les pays du common law, le discours juridique s’est approprié le phénomène.

La quérulence fut considérée en Allemagne sous la houlette du délire des plaideurs sinon de plaintes infondées et illégales. Le caractère de la quérulence se mêle à celui du délire de grandeur et de persécution selon le psychiatre allemand Johann Ludwig Casper. Parmi les postulats en vogue au sein de la psychiatrie allemande du XIXe siècle fut celle de considérer que les idées délirantes des plaideurs fous reposaient sur des faits réels : les supposés ennemis désireraient en fait les priver de certains droits sans avoir l’intention d’attenter à leur vie. Les avis vont aussi dans le sens de faire s’apparenter le délire de persécution à la surestime de soi.

Chez les aliénistes français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, c’est le délire de revendication et la quérulence processive qui sont mises de l’avant. Avec pertinence, les auteurs distinguent les délirants de persécution et les aliénés persécuteurs. Ce couple de concepts fut ensuite supplanté par le délirant de revendication.

Paranoïaques, délirants ou aliénés processifs sont les constructions syntagmatiques en vogue à l’époque. D’autres postulent qu’ils ont un caractère bizarre, un égoïsme féroce, un orgueil démesuré, une activité stérile et désordonnée. La processivité pathologique côté Allemagne était représentée par l’individu désireux d’obtenir plus que sa part de droits de la part de l’Etat. L’archétype hexagonal selon Benjamin Pailhas est l’agriculteur qui lutte contre une menace d’expropriétation. Est-il opportun de parler de délire raisonnant de dépossessions plutôt que de simple situation anxiogène liée à une situation de vie de dépossession ?

Au- délà de ces tentatives de description des pathologies, certains psychiatres s’intéressent à la personnalité des quérulents indiquant par exemple que la processivité pathologique résulte de l’incapacité à complètement abréagir les réponses affectives à des déceptions (Julius Raeke). L’un des psychiatres qui s’est intéressé à la quérulence en a dressé un typologie remarquable, Heinz Dietrich. Il parle de quérulence légale, professionnelle, carcérale, sociale, etc. Cette typologie est pour le moins originale et permet de constater que le phénomène ne se limite pas à la sphère du légal.

En outre il existerait aussi une processivité normale (névrotique, réactive) et une processivité pathologique (chronique et psychopathique). Les auteurs n’expliquent pas à partir de quant les limites de la processivité normale sont dépassées par l’effracteur pour faire basculer la victime dans la processivité pathologique. Les auteurs rapportent que c’est en Allemagne que la question de la quérulence a été le plus étudié.

Dans les pays du Common law, le portrait des plaignants compulsifs est peu flatteur. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, des listes sont établies pour bannir des tribunaux ces personnalités belliqueuses. Les auteurs affirment que stigmatiser ou psychiatriser ces dernières s’oppose à tout un ensemble de valeurs endémiques. En Grande-Bretagne, la solution juridique a été trouvé pour les Vexatious Actions Acts.

Dans les pays de Common law la notion de vexatious litigeant prime sur les notions de délire de persécution et sur le concept psychiatrique de quérulence. Les auteurs anti-psychiatriques, critiques, sont peu cités (cf. Martin Thomas, p. 31).

Les limites du diagnostic et de la description

Néanmoins psychiatres et juristes s’accordent pour affirmer que l’on ne peut expliquer les cas de vexatious litigant en terme de paranoïa quérulente. Cependant, ils souhaitent que des recherches plus poussées soient faites pour trouver des traitements plus efficaces.

Les auteurs font aussi un survol des dispositions contenues dans le Code de procédure civile (Québec) et dans la Loi sur l’accès à l’information du Québec. A plusieurs endroits, ces personnes sont qualifiées d’acariâtres, d’entêtés, etc. Il aurait été opportun de montrer l’autre facette de la médaille: la victimisation multiple dont elles peuvent être l’objet. Ces dernières auraient pu opter pour des actions extra judiciaires. La qualification de la psychiatrie de ces victimes de délirantes lorsqu’elles recourent à la justice pour dire droit, ou se plaignent de complots imaginaires, fait ressortir un malaise. Il s’agirait d’une pirouette expéditive face à d’autres priorités et un manque de temps pour développer une expertise du dossier. Aussi, le profil du quérulent n’est pas seulement l’individu pathologisable ou déraisonnable dans ses démarches, en marge, etc. Certains sont avocats et intentent des recours multiples. (p. 45, p. 81). Justiciable insatisfait, plaideur vexatoire, conspirationniste, abusive litigants, paranoïaque, plaideur processionnel ou quérulent, revendicateur fou voilà tout autant d’étiquettes qu’utilisent les auteurs pour dénoncer ce qu’ils estiment être un fléau des temps modernes, en recrudescence dans certains provinces comme l’Alberta.

Les auteurs auraient eu intérêt à commenter les relation avocats justiciable, la déontologie des avocats, lorsqu’il s’agit par exemple d’expliquer quelles sont les causes qui justifient qu’un justiciable s’autoreprésente, qu’elles sont ensuite les différentes attitudes qui peuvent déplaire aux plaideurs abusifs et qui le conduisent à être de la sorte.

Les auteurs distinguent les quérulents des grincheux professionnels ou des procéduriers opportunistes. Les énoncés où les auteurs par exemple constatent que le quérulent peut parfois avoir des bonnes raisons de s’adresser au système de justice (p. 97) sont plutôt rares. Certes le portrait des plaideurs quérulents et abusif est très documenté, mais il omet de voir en quoi les lacunes du système, par exemple dans l’accueil des immigrants. Les auteurs proposent des désignations d’avocat commis d’office afin que l’avocat jette un regard sur la pertinence d’un recours. Il suggèrent aussi la tenue de procès fictifs pour laisser aux quérulents la possibilité de s’exprimer.

Trajet de vie singulier des quérulents

C’est en fait à la partie 3 que les auteurs s’intéressent aux trajets de vie singuliers des quérulents. Les auteurs affirment que les magistrats sont parfois perçus comme des figures salvatrices. Pureté d’intention, blessures, ralliement des pairs à leur cause sont des symptômes du quérulent, tous vus encore une fois comme négatifs. Ces fonctionnements ne sont en rien propres au quérulent mais se retrouvent aussi dans toutes les familles politiques, les réseaux de solidarité et surtout en dehors de la justice.

Les auteurs donnent l’exemple du quérulent justicier qui dans les faits est celui qui se fait justice en dehors des tribunaux (p 109). L’analyse de la personnalité du quérulent se veut ici axée sur les dimensions psychologiques, expliquant la transition entre le désir de revanche au désespoir.

Recul par rapport à la quérulence décrite par les auteurs

Il manque à cet ouvrage à partir du point de vue institutionnel l’analyse des différents acteurs du système qui font partie de la chaîne pénale, juridique ou diagnostique. Il aurait été pertinent de voir la relation entre le profil du justiciable, le développement de la quérulence, et certains problèmes comme ceux liés à la déontologie, la stigmatisation et de la communication entre les différents paliers de la chaîne juridique et diagnostique. Ainsi il s’agirait d’une dépréciation du justiciable. Les auteurs s’intéressent aux victimes du quérulent mais condamnent en bloc le quérulent. Il est difficile de traiter de la quérulence sans s’intéresser avec la même verve aux erreurs judiciaires, à la corruption dénoncée par les juges.

Si pendant presque tout l’ouvrage les auteurs proposent une vision négative du quérulent du point de vue de la justice et de la pscyhiatrie. Leur regard sur la magistrature passe par le biais de classiques de la littérature française comme La Fontaine et Bossuet.

Ils évoquent les procureurs corrompus, les juges incompétents, les avocats véreux; montrant la richesse syntagmatologique que génère la perception des acteurs de la justice. Cette partie de l’ouvrage s’appuie sur un corpus français réduisant la dimension internationale de l’essai.

Jean-Nicolas De Surmont

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