Le Gardien : ‘Il s’agit en réalité d’une guerre civile : le désespoir en Haïti alors que les gangs intensifient leurs attaques contre la capitale
Des combattants « bénis par un évangéliste américain » armés de fusils et de machettes ont pris le contrôle d’une zone clé de Port-au-Prince, alors que les autorités, accablées par le chaos, tentent de rétablir l’ordre.
L’assaut sur Solino a commencé en pleine nuit, lorsque des dizaines de membres de gangs, équipés de Kalachnikovs et de machettes, ont envahi l’un des derniers bastions sécurisés de la capitale haïtienne. Les jeunes assaillants, enflammant les maisons et tirant en l’air, ont poussé les habitants à fuir, emportant en hâte ce qu’ils pouvaient : enfants, vêtements, valises, quelques chaises.
Félicen Dorcevah, entraîneur de boxe de 45 ans, s’est réveillé dans son quartier voisin de Kokiyo et a vu affluer une foule de personnes déplacées, cherchant refuge. « Réveillez-vous ! Les bandits arrivent ! » se rappelle-t-il avoir entendu ces réfugiés, épuisés et fuyant pour sauver leur vie.
Six heures après le début de l’attaque, l’ambiance restait tendue à Kokiyo. Du mobilier en bois, sauvé de justesse d’une maison de Solino, était empilé le long d’un sentier rocailleux, tandis qu’un homme impassible, armé d’une machette, montait la garde. Non loin de là, dans le secteur de Christ-Roi, une barricade de voitures accidentées bloquait l’avancée des gangs, et des volutes de fumée noire s’échappaient des maisons incendiées. Sur les réseaux sociaux, des vidéos montraient les membres de « Viv Ansanm » – une coalition criminelle – défiler dans Solino, scandant en créole : « Si vous n’êtes pas avec Viv Ansanm, nous vous réduirons en cendres ».
Dorcevah, résigné, se sent impuissant : « C’est comme une guerre civile. » Réfugié dans son abri exigu, il évoque son arrivée à Kokiyo il y a 14 ans, après que le séisme de 2010 ait ravagé Port-au-Prince et détruit son ancienne maison. Mais, selon lui, cette crise est encore pire : les gangs, qui contrôlent déjà 85 % de la ville selon un rapport de l’ONU, continuent leur progression.
Huit mois après que des gangs politiquement liés ont renversé le premier ministre d’Haïti, libéré des milliers de prisonniers, fermé l’aéroport et coupé la capitale du reste du monde, les perspectives de paix semblent minces pour les habitants. Quelques heures avant l’attaque de Solino, Leslie Voltaire, chef du conseil présidentiel intérimaire, annonçait pourtant vouloir « sauver Haïti du chaos ». Cependant, à seulement quelques kilomètres de là, les chefs de gang préparaient déjà leur prochaine offensive.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations, environ 700 000 Haïtiens ont été déplacés par la violence, dont 10 000 dans les deux dernières semaines, principalement autour de Solino. Dans un camp de fortune installé dans une école désaffectée, des familles vivent entassées dans des salles de classe. Hovelène Chateau, veuve de 24 ans dont le mari a été tué l’année dernière, décrit des conditions insalubres et précaires.
L’arrivée en juin d’une force multinationale de police menée par le Kenya, censée ramener l’ordre, n’a jusqu’ici offert aucun soulagement. Des tirs résonnent jour et nuit dans la ville, et des véhicules blindés, criblés de balles, patrouillent les rues barricadées. La frustration est palpable parmi les forces locales, un officier estimant même que les gangs ont repris leurs attaques après avoir vu le faible effectif des troupes étrangères : « Pour eux, c’est devenu un terrain de jeu. »
Dans un studio de radio surplombant Port-au-Prince, les journalistes haïtiens rapportent les derniers actes de violence : lynchage de membres de gangs, fusillade d’un hélicoptère des Nations Unies, attaque de véhicules de l’ambassade américaine. Face à ces événements, la population, initialement optimiste quant au soutien de la mission étrangère, est aujourd’hui désabusée. « Les bandits continuent d’attaquer, » déclare Johnny Ferdinand, co-animateur d’une émission populaire.
https://www.theguardian.com/world/2024/oct/30/haiti-armed-gangs-port-au-prince