Le proxy-président Fritz Jean, entre honneur, pouvoir et conviction

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1 Timothée 6 verset 10 : « Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux ; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont infligés eux-mêmes bien des tourments. »

En référence à son livre “Haïti, une économie de violence” l’honneur de l’actuel coordonnateur du Conseil présidentiel de transition (CPT) serait en péril face à sa fougueuse plaidoirie livresque contre la capture de l’État. Comme dans un classique dilemme de prisonnier, il n’y a pas moyen pour ce collège présidentiel multi-tête d’atteindre un équilibre de Nash optimal au profit des conseillers « intègres » et ceux déshonorés par le goût du lucre. Maculé par la présence toxique des trois conseillers épinglés dans le délit scandaleux d’une tentative de pillage contre la Banque nationale de crédit (BNC), le CPT envoie le mauvais signal du triomphe manu militari de la corruption, du pillage et de la trahison au sommet de l’État. La prise en otage de la sphère publique par les trois conseillers frappés par le syndrome de l’accumulation de l’argent facile dicte une loi contraire à la promotion des valeurs. La convoitise du trio vraisemblablement espiègle du CPT pour tenter de sucer de l’argent caché dans les coffres-forts de la BNC est l’expression vivante de la violence et de la capture de l’État par ses propres représentants.

Dans son ouvrage paru en 2019, Fritz Jean décrit avec amertume un État haïtien plongé dans le chaos, dominé par une violence entretenue par trois principales catégories d’acteurs. L’ancien gouverneur de la Banque centrale déplore le climat de terreur et de pauvreté abjecte émanant de la cupidité du secteur traditionnel des affaires, des politiciens entrepreneurs et des grands commis de l’État. À titre de coordonnateur du CPT, et donc de numéro un politique du pays par la force des choses, Fritz Jean détient l’opportunité de concilier la théorie à la pratique en accomplissant la mission d’évincer les trois mousquetaires ravisseurs, selon l’ULCC, de la magistrature suprême de la République. Le proxy-président d’un mandat de cinq mois dispose d’un as d’atout pour prouver que son ramage se rapporte à son plumage.

Dans une insouciance pathogène, Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles continuent de siéger confortablement au sein de cette structure présidentielle « innovante », en toute impunité. Cela fait déjà huit mois que ces inculpés dont l’affaire louche a été transférée à la justice par l’ULCC pavanent « fièrement » dans les rouages des plus prestigieuses entités de l’administration publique. En bons audacieux, ils osent proférer des menaces de limogeage contre les justiciers incorruptibles qui ont mis en déroute leurs manèges affairistes. Tant au niveau des représentations diplomatiques qu’aux organismes autonomes, ces « braqueurs » révoquent, remplacent et accordent des promotions. En contrepartie de quoi ? les sceptiques auraient pu douter d’une véritable caverne d’Alibaba !  Des escrocs influents aux alentours des institutions publiques gestionnaires de fonds importants ne seraient que des chats recrutés pour surveiller le beurre. Ainsi, le résultat d’un hold-up de haute voltige est imminent.

Le vieil adage n’a-t-il pas prévenu que celui qui a tenté de voler un œuf volera un bœuf ? Cette mise en garde devrait éviter au trésor public une érosion des ressources financières devant être allouées aux projets de santé, d’éducation et de sécurité au profit de la collectivité. Fritz Jean fait face au dilemme de « trahir » de potentiels ravisseurs siégeant au CPT, dans son propre voisinage, en toute impunité ou de trahir les valeurs intrinsèques dont il fait la promotion dans son propre livre. En bout de ligne, le choix final du coordonnateur du CPT déterminera son véritable visage. La dichotomie est claire : rendez-vous avec la gloire ou avec la poubelle de l’histoire. Espérons qu’il prendra la bonne option en tirant les leçons salutaires des faux-pas du premier coordonnateur du CPT qui avait avalé son orgueil crapaud. Edgard Leblanc devient si petit !

Restaurer les fenêtres brisées

Dans environ quinze ans, Haïti passe de quelques fenêtres brisées pour converger dans une fine proximité vers la caricature de tout un édifice effondré. Les tristes résultats issus de la gouvernance exécrable du pays sont consistants avec la théorie du « Broken Window Effect » émise en 1982 par les psychologues Américains, James Wilson et Georges Kelling. Cette illustre référence en criminologie prédit la chute globale de toute société qui ne condamne pas les comportements antisociaux et les actes de vandalisme. La plaidoirie des économistes modernes qui reconnaissent le rôle central des institutions dans le développement des sociétés va dans le même sens. Dans « Why Nations Fail ? », le plus récent Prix Nobel d’Économie, Daron Acemoglu, présente une illustration saisissante de la démarcation des sociétés sur le sentier de la création de la richesse. Celles étiquetées de développées, dotées d’institutions inclusives où s’appliquent les lois comme les États-Unis ou la Corée du Sud, prospèrent. D’autre part, celles caractérisées par des institutions extractives au sein desquelles les principes sont constamment violés, à l’instar du Mexique ou de la Corée du Nord, croupissent dans la misère et des inégalités criantes. Sans conteste, Haïti figure dans cette deuxième catégorie qui n’accorde pas des incitations pour éradiquer les pratiques de la corruption.

Cela fait trop longtemps que les normes et les références éthiques sont inversées pour laisser libre champ à la malversation et la perversité de s’installer en toute quiétude au pays. Haïti ne sortira pas du labyrinthe sans un déclic salvateur pour remettre à l’heure les pendules de la justice et des valeurs morales. La tolérance absurde des trois conseillers présidentiels aux axes stratégiques de la république cristallise ce cauchemar de la capture de l’État par des groupuscules égocentriques qui amassent la richesse du pays aux dépens du bien-être collectif. Le rapport technique de l’ULCC a tristement révélé que ces hommes sans scrupule avaient harcelé le président de la BNC en l’exigeant d’organiser une arnaque en contrepartie de sa reconduction à la tête de cette prestigieuse institution financière.

À titre d’un proxy-président, garant quand même de la bonne marche des institutions, Fritz Jean détient une opportunité à point nommé pour concilier ses écrits et ses actions tout en contribuant à la restauration et la promotion des valeurs intrinsèques dans l’administration publique. En tout cas, si l’auteur de “Haïti, une économie de violence” veut rester cohérent entre ce qu’il a publié et ce qu’il fait actuellement, il devrait jouer un rôle axial pour faire jaillir la lumière et la justice sur la demande de pots de vin des trois conseillers. Ce serait un pas symbolique vers la victoire de l’éradication de la corruption au sein de l’administration publique sans laquelle le pays finira par disparaître. Haïti ne devrait pas languir à percevoir des démarches efficaces du coordonnateur du CPT pour exiger l’expulsion des trois conseillers « arnaqueurs » de la sphère présidentielle afin qu’ils puissent répondre aux questions de la justice. Fritz Jean se trouve à un moment décisif de sa carrière professionnelle qu’il ne peut se permettre de louper afin de préserver son honneur.

Qu’il s’agisse de la politique, de la diplomatie ou d’autres champs, l’absence de moralité et d’intégrité va toujours hypothéquer la confiance entre les parties impliquées. Le « politiquement correct » est juste un sophisme ou un paralogisme pour étayer des incohérences et des absurdités. Ce sont l’intégrité, l’efficience et la vérité qui garantissent la pérennité de toute relation, de toute entreprise. Des gens qui ne sont pas dignes de confiance vont toujours créer des frictions et semer la discorde dans les relations et les coopérations, entraînant ainsi des échecs de coordination.

Haïti ne peut renaître de ses cendres en dehors des balises d’antan, garantes des dépôts des mœurs (Sic. Montesquieu), qui écartaient tout escamoteur des activités sociales de sa communauté. Un retour vers ce passé mythique où les valeurs se construisent sur des interdits et des intouchables est essentiel pour bannir l’impunité. Haïti doit renouer avec les pratiques de société où l’intégrité, la culture de l’excellence et le respect du denier public ont la primauté au sein de toutes les structures sociales. À ce stade d’une déconfiture sociétale, ce serait le message le plus fort que les dirigeants doivent transmettre pour orienter la population vers des comportements exemplaires.

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

À suivre