Bramley, un village pittoresque du Surrey, est devenu l’exemple malheureux d’une maladie moderne qui sévit en Grande-Bretagne : la disparition de la responsabilité.
Ce qui a commencé comme une odeur mystérieuse dans la cave d’un pub s’est transformé en un véritable désastre écologique et bureaucratique, avec de l’essence qui s’infiltre dans le sol et les autorités locales haussant les épaules. Une station-service autrefois détenue par la coopérative et maintenant gérée par Asda a été fuite de carburant depuis des annéescausant des dommages considérables à l’environnement, aux habitants et à leurs moyens de subsistance. Mais le plus inquiétant dans cette saga ? Personne ne veut assumer ses responsabilités.
Pour les étrangers, l’histoire des malheurs de Bramley ressemble à un cauchemar kafkaïen. Une canalisation cassée sous la cour d’Asda a laissé échapper du carburant dans le système d’eau du village, contaminant les réserves, tuant des poissons et obligeant à remplacer les canalisations. Depuis mai, 600 foyers ne peuvent plus boire l’eau du robinet en toute sécurité. Thames Water fait ce qu’elle peut, mais les habitants se retrouvent avec un village marqué par des travaux routiers constants et des activités perturbées, tandis que leurs maisons risquent désormais de reposer sur une nappe d’essence toxique. Leurs inquiétudes concernant la valeur des biens immobiliers semblent tomber dans l’oreille d’un sourd.
Asda, l’actuel propriétaire de la station-service, a pris ses distances avec brio, qualifiant le problème d’« historique ». La chaîne de supermarchés est désormais détenue majoritairement par le géant du capital-investissement TDR Capital, un fait qui ne fait qu’aggraver le sentiment de négligence anonyme de l’entreprise. Pendant ce temps, le conseil du comté de Surrey renvoie la balle au conseil municipal de Waverley, qui ne prétend pas avoir le pouvoir d’intervenir. L’Agence de l’environnement, citant une enquête en cours, reste silencieuse, tandis que l’Agence de sécurité sanitaire du Royaume-Uni affirme que son rôle est « consultatif plutôt que réglementaire ».
Le président d’Asda, Lord Rose, qui, comme il a été révélé cette semaine, est succédant à Mohsin Issaa déclaré lors d’une réunion de résidents du village qu’il n’y aurait pas de « solution miracle ».
Pour les habitants de Bramley, cette constellation d’agences, de conseils et d’entreprises existe en théorie pour les protéger. Pourtant, lorsque leur petit village s’est retrouvé plongé dans la crise, chacun d’eux a pointé du doigt ailleurs, laissant les villageois face à une réalité déconcertante : quand quelque chose tourne mal, personne n’est prêt à assumer la responsabilité. Il ne s’agit pas d’un problème localisé, mais d’un problème bien plus vaste qui touche aujourd’hui la Grande-Bretagne.
Ce changement de mentalité est quelque chose que Dan Davies explore dans son livre La machine à irresponsabilitéqui dresse un sombre tableau de la manière dont les grands systèmes sont structurés pour éviter de prendre leurs responsabilités. La danse kafkaïenne du renvoi de responsabilité observée à Bramley est un parfait exemple de ce que Davies appelle un « puits de responsabilité » – un endroit où la prise de décision est si fragmentée que personne n’est jamais à blâmer lorsque les choses tournent mal. Bramley est devenu un symbole involontaire de ce malaise moderne, où les bureaucraties et les entreprises tentaculaires ont perdu la capacité, ou peut-être la volonté, de répondre aux problèmes humains autrement que par l’indifférence.
La saga Bramley n’est pas un simple accident de parcours, elle est le résultat d’une tendance qui se développe depuis longtemps vers l’irresponsabilité. Cette mentalité a commencé dès les débuts des structures d’entreprise, lorsque la responsabilité limitée permettait aux investisseurs de récolter les fruits du risque sans supporter l’intégralité des conséquences d’un échec. Davies explique que cela avait du sens lorsque le risque était réparti entre les actionnaires individuels, comme une veuve investissant ses économies dans une compagnie ferroviaire. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, ce sont les géants du capital-investissement et les multinationales qui bénéficient de ces protections, à l’abri des reproches lorsque les choses tournent mal.
Que se passe-t-il donc lorsque le système devient si difficile à gérer que les boucles de rétroaction entre action et conséquence disparaissent complètement ? Pour les habitants de Bramley, cela signifie qu’ils doivent naviguer dans un labyrinthe d’agences et d’autorités, dont aucune ne semble avoir de réel intérêt à résoudre le problème. Des entreprises comme Asda, soutenues par des fonds de capital-investissement, sont heureuses d’affirmer que le problème est antérieur à leur prise de contrôle, ce qui laisse les villageois frustrés et avec le sentiment d’être abandonnés. C’est un jeu de passe-partout sans gagnant, seulement des perdants.
Davies suggère que les systèmes conçus pour gérer la complexité du monde moderne rompent souvent le lien direct entre la prise de décision et la responsabilité. À mesure que les organisations se développent et que les processus s’industrialisent, leurs membres perdent leur sens de l’action. Ce n’est pas que personne ne s’en soucie, c’est qu’ils fonctionnent dans un cadre conçu pour empêcher quiconque de s’en soucier. C’est ce que Davies compare à un « chat décérébré » – un système qui peut fonctionner, au sens technique du terme, mais sans la capacité de répondre de manière significative aux problèmes du monde réel.
Pour les habitants de Bramley, ce système froid et dépassionné est bien réel. Ils sont frustrés de devoir parler à des fonctionnaires subalternes qui n’ont tout simplement pas le pouvoir ou l’autorité nécessaires pour prendre des mesures décisives. À bien des égards, le problème dépasse les détails de la fuite d’essence : il témoigne d’une crise bien plus vaste dans nos institutions et nos entreprises, où la course à l’efficacité et au profit a rendu invisibles les problèmes à échelle humaine.
Ce qui est particulièrement accablant, c’est de réaliser que cette situation aurait pu être évitée si quelqu’un, quelque part, avait pris la peine d’agir plus tôt. À une époque plus simple, la fuite aurait été réparée, des excuses auraient été présentées et une compensation aurait été offerte. Mais aujourd’hui, il semble impossible de déterminer à qui appartient le problème. Les habitants se retrouvent dans un vide, où les intérêts des entreprises, les autorités locales et les agences nationales prétendent tous que le problème est à résoudre par quelqu’un d’autre.
En réalité, le système a été conçu pour les faire échouer. L’essor du capital-investissement, la fragmentation de la responsabilité réglementaire et l’érosion du pouvoir des autorités locales contribuent tous à une culture où il est facile de se soustraire à ses responsabilités. Et à moins que quelque chose ne change, l’expérience de Bramley ne sera pas unique. D’autres villages, villes et cités à travers le pays pourraient bientôt se retrouver empêtrés dans des réseaux similaires d’indifférence et d’inaction.
La situation de Bramley est un avertissement. Elle montre ce qui se passe lorsque la responsabilité est laissée de côté, lorsque les systèmes sont conçus pour protéger les organisations plutôt que les personnes qu’elles servent. Si nous ne commençons pas à remédier à ces problèmes de responsabilité, la question ne sera pas de savoir si un autre village va en souffrir, mais dans combien de temps.

Richard Alvin
Richard Alvin est un entrepreneur en série, ancien conseiller du gouvernement britannique sur les petites entreprises et professeur honoraire en affaires à l’université de Lancaster. Lauréat du prix de la personnalité d’affaires de l’année de la Chambre de commerce de Londres et membre de la Chambre de commerce de Londres pour ses services aux entreprises et aux œuvres caritatives. Richard est également directeur général du groupe Capital Business Media et de la société de recherche commerciale sur les PME Trends Research, considéré comme l’un des principaux experts britanniques dans le secteur des PME et un investisseur providentiel actif et conseiller auprès des nouvelles entreprises. Richard est également l’animateur de Save Our Business, l’émission télévisée de conseils aux entreprises basée aux États-Unis.