L’Edito du Rezo – Le pouvoir aux loups : quand l’Etat finance ceux qui détruisent la République

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Des fonds sans légitimité sur fond de ruines républicaines : mise en garde au Premier ministre de facto Alix Didier Fils-Aimé — Non au référendum, les Haïtiens ont déjà une Constitution, pas une mascarade

L’annonce faite jeudi depuis Les Cayes par le Premier ministre de facto Alix Didier Fils-Aimé — qu’il a rejoint en hélicoptère, contournant les “territoires perdus” de la République — selon laquelle il envisage d’imposer un simulacre de référendum au lieu de s’attaquer à l’insécurité endémique, tout en déclarant un budget de plus de 65 millions de dollars pour l’organisation des élections générales en Haïti, accompagné de 750 millions de gourdes destinées aux partis politiques, ne peut être reçue sans une profonde inquiétude.

En pleine désagrégation institutionnelle, alors que le pays est livré à une insécurité chronique et à une gouvernance improvisée, ces chiffres, à défaut de témoigner d’une volonté de rétablir l’ordre démocratique, révèlent l’inertie d’un système prêt à instrumentaliser les urnes au service d’intérêts claniques. Plus qu’un projet électoral, c’est une opération cosmétique visant à donner une façade de légitimité à un pouvoir issu d’aucune norme constitutionnelle.

En Haïti, la classe politique est minée depuis des décennies par l’absence de partis dignes de ce nom. Ce sont plutôt des particules politiques, des constructions opportunistes, surgissant à la veille de chaque échéance électorale pour capter les financements publics. La déclaration d’Alix Didier Fils-Aimé ne changera rien à cette logique : désormais que l’argent est annoncé, le défilé des « regroupements » politiques est attendu, et avec lui le cycle bien connu de la redistribution sans contrôle. L’histoire récente regorge d’exemples de formations sans ancrage réel, ni idéologie, ni base populaire, se servant de ces fonds pour consolider des alliances opaques et faire tourner la roue d’un clientélisme endémique.

Mais la véritable question est ailleurs. À qui revient la responsabilité de l’absence d’élections depuis 2016 ? Le Premier ministre de facto, aujourd’hui chef de l’exécutif sans mandat, doit avoir le courage de répondre à cette interpellation. En outre, qu’en est-il du rapport d’audit sur les derniers financements publics octroyés aux partis ? Quels comptes ont-ils rendus à la nation ? Le silence est assourdissant. Ce refus de transparence alimente la défiance du peuple à l’égard d’un système politique perçu comme un théâtre d’ombres, où les acteurs changent mais le scénario de prédation reste inchangé.

La corruption institutionnalisée en Haïti ne s’exerce plus dans la clandestinité : elle est pratiquée à ciel ouvert, avec la complicité d’institutions affaiblies et de leaders politiques qui détournent les mécanismes de la République à des fins privées. Loin de proposer un changement de cap, le gouvernement de facto s’inscrit dans la continuité d’une tradition de dissimulation, de gaspillage et de manipulation. Rien, à ce jour, n’indique que les millions annoncés feront l’objet d’un contrôle rigoureux. Rien n’est prévu pour garantir que ces fonds serviront à restaurer la souveraineté populaire plutôt qu’à financer une farce électorale.

Pire encore, le même Premier ministre de facto, désormais autoproclamé chantre d’une réforme constitutionnelle, évoque un référendum. Il convient de rappeler avec fermeté que tout référendum est formellement interdit par la Constitution de 1987, laquelle prévoit des procédures strictes et encadrées pour toute révision. Ce projet est non seulement illégal, mais profondément irrespectueux. Il traduit le mépris de certains dirigeants pour les fondements mêmes de notre pacte républicain. Aucun nom, si prestigieux prétend-il être, ne saurait justifier une entreprise de démolition institutionnelle. Pas de référendum en Haïti. Le peuple haïtien, qualifié ici avec insistance comme « nègre », a une mémoire, une dignité, une Constitution. Et cette Constitution n’est pas une serviette qu’on piétine, mais un rempart que l’on défend.

À suivre