par Claudy Briend Auguste
Et le sang criait depuis la terre…L’Église et la dissolution de l’ordre constitutionnel : silence sacral ou collusion séculaire ? Cinq mille morts, la Constitution piétinée : et l’Église siège encore au CEP
« Que fais-tu de la voix de ton frère ? Son sang crie vers moi depuis la terre. » (Genèse 4:10)
En Haïti, cette parole des Écritures ne résonne plus comme une métaphore ancienne, mais comme la transcription exacte d’un présent tragique. Près de 5 000 morts en six mois, selon les données du dernier rapport des Nations Unies, et le ciel demeure muet. Pire : la voix terrestre de ceux qui se disent pasteurs du peuple, gardiens de l’espérance, sentinelles morales, reste prisonnière d’une liturgie d’abstention. Où est le cri prophétique ? Où sont les voix qui devraient s’élever, non contre le monde, mais contre le péché d’État ?
Pendant que les familles haïtiennes enterrent leurs morts dans l’anonymat des fosses ou l’indifférence des ruelles, le Conseil présidentiel de transition (CPT), organe sans fondement juridique ni mandat démocratique, poursuit avec méthode l’élimination de la Constitution de 1987texte issu du suffrage populaire, pilier de la souveraineté post-dictatoriale. Et dans ce processus opaque, l’Église catholique maintient ses représentants au sein du Conseil électoral provisoire (CEP)devenu, de fait, un instrument administratif d’une transition illégitime instrumentalisée.
Ne rien dire, c’est bénir. Rester, c’est collaborer. Participer, c’est trahir.
Les Écritures sont formelles : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non. » (Matthieu 5:37) Face à l’effacement programmé de la Loi fondamentale, il ne saurait y avoir d’entre-deux mystique. Le référendum envisagé par le CPT, contraire à l’article 284.1 de la Constitution, qui interdit toute révision visant la forme républicaine de l’État, n’est rien d’autre qu’un acte de forfaiture normative. L’Église, en restant partie prenante de cette mécanique, cesse d’être un contre-pouvoir spirituel : elle devient co-auteur du déclin de l’État de droit.
À l’opposé, au Kenya, l’archevêque anglican Jackson Ole Sapit rappelle avec vigueur ce que signifie une Église vivante : il dénonce les exécutions extrajudiciaires, s’oppose aux ordres de répression sanglants, interpelle l’État, exige vérité et justice. Il démontre que la parole pastorale ne saurait servir à camoufler l’injustice, mais à la combattre au nom de la dignité humaine.
Haïti attend ce sursaut.
L’État failli est désormais un fait public, dénoncé de toutes parts. Un Premier ministre sans mandat gère l’insécurité comme une affaire privée, distribuant des sécurités parallèles, pendant que le chiffre funeste des 5 000 morts continue de croître, macabre comptabilité de l’inhumanité politique. Dans cette scène de naufrage, il attend l’arrivée de son partenaire en crime — issu du secteur privé — pour tenter de sauver les meubles, instaurer un simulacre d’accalmie, et foncer, sous couvert de consensus fabriqué, vers l’irréparable : un référendum illégal, une transition confisquée, une Constitution effacée.
Tout cela se fait avec la complicité active de l’Églisequi, loin de se retirer, occupe la présidence du CEPdevenant le paravent moral d’une opération de dissolution constitutionnelle.
L’Église ne peut prétendre dénoncer l’insécurité, tout en validant les instruments d’un régime qui s’en nourrit. Elle ne peut pleurer sur le sort du pays, tout en se tenant, sans honte, à la table de ceux qui le dénaturent.
Cinq mille morts. Une Constitution assassinée.
Et des voix cléricales encore trop tièdes pour dire ce que Dieu attend d’elles : la justice, et non le rite ; la vérité, et non la connivence.
CBA
13/07/2025
