Reynoldson Mompoint
Gonaives, le 25 juin 2025
Il fallait s’y attendre. Entre un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) dont la légitimité est aussi friable qu’un biscuit dans la boue, et une Primature qui n’a de gouvernement que le nom, le seul accord réel, solide, et apparemment sincère qui les unit, c’est celui de s’accrocher au pouvoir. Tout le reste ? De la poudre aux yeux. De la rhétorique pour les naïfs. De la distraction pour anesthésier un peuple exsangue.
Ils ne s’entendent ni sur la sécurité, ni sur l’économie, encore moins sur l’organisation des élections. Mais sur le fauteuil ? Là, oui. Là, tout à coup, on parle d’une seule voix.
Un théâtre d’ombres pour un peuple aveuglé. Depuis des semaines, le CPT joue au gouvernement. Il palabre, il consulte, il compose, il décompose. Il promet la rupture, l’inclusion, la transition vertueuse… mais dans les faits, il reproduit exactement les mêmes pratiques mafieuses qui ont coulé les gouvernements précédents. La Primature, elle, semble plus préoccupée par la gestion des budgets que par la gestion de la crise. Et entre les deux, les seuls mots qui circulent avec fluidité sont : partage, position, préséance.
On croyait naïvement que cette transition aurait été celle de la refondation. Au contraire, c’est la prolongation du même système avec de nouveaux visages, certains anciens recyclés, d’autres nouveaux corrompus avant l’heure.
Gouverner ? Non. Survivre politiquement ? Oui.
Ni plan de désarmement, ni feuille de route électorale crédible, ni politique de relance économique, ni engagement envers les déplacés internes. Mais des manœuvres en coulisses, oui. Des promesses de postes pour apaiser les frustrations internes, oui. Des alliances contre nature pour maintenir l’équilibre d’un pouvoir sans mandat, oui.
Ils ne veulent pas gouverner. Ils veulent durer. Et dans ce pays, durer, c’est tout ce qui compte. Même si cela implique de marcher sur les cadavres, d’ignorer les cris des mères, de détourner les regards devant les camps de déplacés, de faire la sourde oreille face aux étudiants qui fuient les tirs à l’université.
Un deal silencieux : « Tu ne me déranges pas, je ne te dérange pas ». Le vrai pacte entre le CPT et la Primature n’est pas écrit, mais il est palpable : Pa gen tèt chaje. Chacun garde son territoire, son budget, ses affidés. L’essentiel, c’est de faire semblant de fonctionner, de faire durer le spectacle. À défaut d’être efficaces, ils sont synchronisés dans l’immobilisme.
Les projets de réforme constitutionnelle ? Au frigo.
La Commission pour la sécurité ? Inexistante. Les promesses aux syndicats ? Poussière.
Mais pendant ce temps, les voitures officielles roulent. Les gardes du corps sont payés. Les per diem circulent. Et la misère elle, ne fait que s’aggraver.
Le peuple ? Un détail gênant. Ce qui est le plus révoltant, c’est cette indifférence crasse au sort du peuple. Comme si gouverner, aujourd’hui en Haïti, c’était gérer une entreprise sans clients. La rue n’intéresse que lorsqu’il faut envoyer la police pour disperser les protestations. Le citoyen n’est convoqué que pour applaudir ou subir.
Haïti est aujourd’hui dirigée par des gestionnaires d’agonie. Le CPT et la Primature ne cherchent pas à soigner la patiente République. Ils veulent juste qu’elle ne meure pas avant leur mandat. Ils veulent une République zombie : ni vivante, ni morte. Juste assez stable pour garder le fauteuil chaud, mais pas assez debout pour exiger des comptes.
L’histoire retiendra qu’en 2025, après tant de morts, tant d’exils, tant d’espérances piétinées, les dirigeants de transition ont choisi de protéger leur pouvoir plutôt que le peuple. L’histoire retiendra que pendant que les enfants mouraient de faim dans les camps de Carrefour, pendant que les gangs recrutaient à ciel ouvert, pendant que les écoles restaient fermées, ceux-là jouaient à qui aura le dernier mot dans un gouvernement sans autorité.
Mais l’histoire retiendra aussi qu’aucun pouvoir ne dure éternellement. Et quand un jour, les comptes seront demandés. Et ce jour-là, ils ne s’entendront plus. Ni pour se défendre, ni pour fuir.
Reynoldson Mompoint