Beaucoup de gens ont finalement compris que c’est la justice qui fait défaut et qui n’a jamais joué son rôle face à ce que les politiciens ont fait pour imposer l’impunité comme une méthode pour se maintenir au pouvoir, ou pour conserver leur pouvoir, plongeant ainsi le pays dans une situation d’insécurité. Diverses réflexions ont déjà été entamées sur ce que nous devrions faire pour mettre un frein à la violence qui déstabilise le pays. Il existe deux grandes tendances opposées : d’un côté, il y a ceux qui prônent l’amnistie, et de l’autre, ceux qui soutiennent le modèle du Président Bukele. L’objectif de ce texte est d’examiner les faiblesses de chaque approche et, finalement, de poser la question : ne pourrions-nous pas fusionner les deux pour créer une approche spéciale qui nous permette de combattre la violence dans le pays sans déranger un groupe au détriment de l’autre ?
Mais qu’est-ce que l’amnistie ? Et qu’est-ce qu’elle apporte dans les pays qui l’ont utilisée pour freiner la violence ? L’amnistie, dans son sens le plus simple, est une décision des autorités de ne pas poursuivre pénalement les personnes ayant commis des actes illégaux, souvent dans un contexte politique ou de guerre. Cela ne signifie pas que ce que les personnes ont fait n’est pas grave, mais cela cherche à mettre fin au conflit pour permettre un nouveau départ. Dans les pays frappés par la violence, l’amnistie apparaît souvent comme un outil permettant de rendre la paix possible, d’éviter davantage de sang versé et de réunir les gens pour construire l’avenir.
Les défenseurs de l’amnistie insistent sur la nécessité de rechercher la paix plutôt que la guerre, d’éviter plus de sang versé, et de sortir d’un système judiciaire dysfonctionnel. Ils pensent qu’en offrant une voie de dialogue et de réintégration sociale, cela pourrait décourager les jeunes de rejoindre les gangs, et que les gangs eux-mêmes pourraient poser les armes pour une vie meilleure. Pour eux, l’amnistie ne consiste pas à libérer les criminels, mais à faire un choix afin d’empêcher le pays de sombrer davantage.
L’un des plus grands exemples modernes est l’Afrique du Sud, où une Commission de Vérité et de Réconciliation a été mise en place après l’apartheid. Plutôt que de chercher à se venger, ils se sont concentrés sur la vérité, le pardon et la reconstruction. En Colombie, le gouvernement a conclu un accord avec les FARC, où les combattants ont déposé les armes en échange de l’amnistie, se concentrant sur la confession et la réintégration.
Haïti n’est pas étranger à l’option de l’amnistie. Après 1986, il a été choisi de ne pas poursuivre les crimes du régime précédent. Cependant, l’absence de vérité et de réparation a fait que de nombreuses victimes attendent toujours justice, et l’impunité est devenue une méthode de gouvernance. Des philosophes comme Hannah Arendt considèrent le pardon comme un acte politique qui peut briser la chaîne de violence, mais elle insiste sur la nécessité de reconnaître ce qui a été fait (Arendt, Le système totalitaire, 1951). C’est pourquoi elle envisagerait une amnistie fondée sur la vérité. Jacques Derrida, de son côté, distingue entre un pardon moral total et une amnistie politique, reconnaissant que dans de nombreux cas, l’amnistie peut devenir un outil stratégique, mais cela ne devrait pas se faire sans un processus de vérité (Derrida, Le Pardon, 2000).
Paul Ricoeur met l’accent sur la relation entre la mémoire, le pardon et la justice, et il croit qu’une société ne peut pas se reconstruire sur l’oubli, mais sur la reconnaissance de ce qui a été fait. Il ajoute que l’amnistie doit aller de pair avec la vérité et la justice réparatrice. En Afrique du Sud, lorsque l’approche de l’amnistie a été adoptée avec la Commission de Vérité et de Réconciliation, elle s’est fondée sur l’idée que reconstruire un pays après un système injuste nécessite que les gens reconnaissent ce qui s’est passé, ce qui n’a pas été fait sans vérité. Comme l’a dit Desmond Tutu, ce qui a été proposé n’était pas seulement une voie vers la paix, mais une manière de sortir de l’enfer sans continuer dans le même cycle sans fin.
De plus, John Rawls, dans sa philosophie de la justice, propose que ses approches offrent aux individus des droits, mais forcent les sociétés à mettre en place un système de justice équitable. Cela signifie que si l’amnistie ne respecte pas les droits des victimes ou n’assure pas une société plus juste, elle n’a pas de valeur morale.
D’un autre côté, l’approche de Bukele, originaire du Salvador, est un modèle qui a opté pour une réponse répressive comme solution à la violence dans son pays. Le président Bukele a pris une position ferme contre les gangs, lançant une campagne militaire et policière visant à tuer ou arrêter les membres des gangs sans compromis. Dans ce qu’il appelle un « état d’urgence », il a procédé à des arrestations massives, centralisé le système judiciaire et a agi sans suivre les procédures légales traditionnelles. Cette approche est bien différente de l’amnistie, car elle utilise la force pour imposer l’ordre et mettre fin à la violence, mais elle est souvent accusée d’abus de pouvoir, de violations des droits humains, et de perte des garanties légales.
Pour qu’une amnistie donne de bons résultats, elle ne doit pas être utilisée comme un « cache-misère » pour couvrir ce qui a été mal fait. Elle doit être intégrée dans un processus large qui met la vérité, la réparation, la reconnaissance et la réconciliation au cœur de son action. Voici quelques principes clés pour que cela fonctionne :
1. L’amnistie ne doit pas cacher la vérité.
2. Il n’y a pas d’amnistie pour les crimes graves.
3. La vérité doit être mise en avant.
4. Réparation pour les victimes.
5. Participation de la communauté.
6. Renforcement de la justice pour l’avenir.
7. Éducation et mémoire collective.
Une amnistie qui ne place pas les victimes au centre, qui ne fait pas la lumière sur la vérité, ni ne cherche la justice, est comme mettre un pansement sur des os qui n’ont jamais été soignés. Cela ne guérit rien. Pour qu’elle fonctionne, elle doit faire partie d’une transition fondée sur la vérité, la réparation et des changements structurels.
L’approche répressive de Bukele présente certains avantages immédiats : elle réduit visiblement la violence dans certaines zones du Salvador et offre à de nombreux citoyens un sentiment de sécurité et d’ordre. Cependant, de nombreuses critiques soulignent que cela peut entraîner des abus dans le système judiciaire s’il ne règle pas les causes profondes de la violence, telles que les inégalités économiques, la criminalité organisée et le manque d’accès à l’éducation ou aux opportunités. Tout comme les philosophes ont discuté des limites de l’amnistie, l’approche de Bukele soulève des questions sur la capacité de la force militarisée à offrir une solution durable. Bien qu’elle puisse réduire la violence à court terme, elle remet en question le respect des droits humains et ne traite pas les problèmes structurels qui ont causé la violence en premier lieu.
Ainsi, en comparaison avec l’approche de l’amnistie, l’approche de Bukele semble plus directe et plus agressive, mais elle manque souvent d’un mécanisme pour la réparation ou la réconciliation, ce qui peut entraîner des problèmes sur le long terme. En ce qui concerne Haïti, nous pouvons dire que l’approche de Bukele pourrait rencontrer ces obstacles :
1. Le système judiciaire haïtien ne fonctionne pas : il n’a pas la capacité de gérer les dossiers et de juger les personnes.
2. Les forces de sécurité sont insuffisamment préparées et les gangs sont de plus en plus infiltrés.
3. Manque de ressources, de logistique et de volonté politique.
4. Les cas peuvent facilement mener à des abus des droits humains : arrestations arbitraires, criminels innocents.
5. Ne pas aborder les racines du problème : pauvreté, chômage, inégalités sociales.
Après avoir analysé ces deux tendances, nous voyons qu’il est possible de réconcilier les deux. Il n’est pas obligatoire pour le pays de choisir entre amnistie ou répression totale. Il y a une capacité à créer une approche haïtienne, qui intègre :
1. La réconciliation pour les acteurs de bonne volonté.
2. La justice et la punition pour les actes les plus graves.
3. Le renforcement du système légal et de la sécurité.
4. Des progrès sociaux et des opportunités pour les jeunes.
Pour conclure, sortir de la crise de sécurité d’Haïti exige plus que des slogans. Ce n’est ni pardonner tout le monde, ni mettre tout le monde en prison. C’est un travail intelligent, stratégique et éthique, où la dignité du peuple et la mémoire des victimes doivent guider l’action. C’est dans l’équilibre entre justice et paix, entre sécurité et réconciliation, que le pays peut développer une vision qui ne soit pas une copie d’autres pays, mais qui soit fondée sur sa propre réalité.
James Saint Germain



